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Anselm Kiefer, Paris (2024)

Anselm Kiefer

For Jean-Noël Vuarnet

24 Janvier – 2 Mars 2024

Date

24 Janvier – 2 Mars 2024

Adresse

White Cube Paris

10 avenue Matignon
75008 Paris

Les aquarelles de Kiefer se réjouissent de la matérialité de l'humanité, de la possibilité d'échapper au quotidien par l'épanouissement personnel : de turbulentes visions créées à l'aide d'un médium connu pour sa nature incontrôlable.

Texte de Liz Rideal

L'aquarelle est souvent considérée comme secondaire dans la hiérarchie des médiums artistiques, avec la peinture à huile fermement au sommet. Elle souffre des connotations liées à l'artiste amateur, ce que dément sa magie véritable en tant que médium riche, ancien, complexe et imprévisible. Le XVIIIe siècle a été sa période faste, grâce à l'invention de la boîte de couleurs portative. Les dames de compagnie chaperonnées peignaient alors de délicats aplats de couleurs à la manière des artistes de plein air tels que Turner, Cotman, Towne et Constable. Selon Anselm Kiefer, "avec l'aquarelle, vous ne pouvez pas travailler par couches successives, vous faites une couche et c'est tout. Vous en faites plus et c’est l’échec".[i]

Étonnant donc quand nous associons l’artiste à des représentations de catastrophes, de guerres et de changement climatique, à des œuvres macho-émotionnelles incarnées par des toiles massives et monumentales faites de paille et de débris en opposition avec ses Extases féminines. Ici, il y a un autre registre chez Kiefer, comme en témoignent ses paysages romantiques et lyriques. Ces œuvres offrent un aperçu de ses aquarelles les plus intimes. Chez Rodin, bronzes musculeux et solides sont également tempérés par des dessins érotiques au crayon et lavis réalisés entre les années 1890s et 1917[ii]. Cependant, les figures féminines de Rodin restent passives, enveloppées dans des transparences émoustillantes, sans expression ni caractère, ses femmes flottent et tentent, dans un anonymat fantomatique, de se conformer à des idées préconçues. Ce sont des somnambules comparées aux femmes souvent nommées, apparemment éternelles, mythologiques, sexuelles d’Anselm Kiefer, offrant une autre facette du regard masculin. Berthe Morisot adopte un point de vue féminin dans Repos (Jeune fille endormie) de 1892, le modèle avec les yeux fermés et la bouche ouverte, peut-être en rapport avec son journal intime de 1885[iii]. « Vu hier chez un marchand de curiosités du faubourg Saint-Germain une gravure d'après Boucher qui était d’une extrême inconvenance et pourtant adorablement gracieuse [...] on ne peut rien imaginer de plus voluptueux qu'une femme endormie, le sein gonflé d'amour »[iv]. Ces images (vraisemblablement) post-coïtales et post-orgasmiques de François Boucher et de Berthe Morisot suggèrent des interprétations à la fois masculines et féminines[v]. Les aquarelles d’Anselm Kiefer tentent de saisir ce même moment d’extase fugace par le biais d’une imagerie fébrile, vibrante et graphique. Ces œuvres de célébration semblent interpréter et dépeindre une série de différents types d'orgasmes féminins.

La Vie en Rose en Extase

Kiefer associe ses femmes en extase à de succulentes roses en bouquets de couleurs éclatantes. Si les roses symbolisent l'amour, il n'en reste pas moins qu'il existe une disparité entre l'amour et le sexe. Joséphine, l'amante de Napoléon, créa une roseraie de 250 variétés de roses dans son château de Malmaison. Joe DiMaggio a continué à envoyer des roses sur la sépulture de Marylin Monroe à Los Angeles trois fois par semaine durant 20 ans après sa mort. Des vendeurs de roses rouges parcourent les restaurants de la ville pour colporter cette fleur omniprésente. De tels équivalents amoureux facilitent-ils les rencontres sexuelles potentielles ? Les floraisons explosives de Kiefer viennent fournir un amalgame de ce condensé d’idées et cooptent la rose chamarrée comme des contre-protagonistes dans le dialogue en forme de diptyque au sein de ce collage d’images.

Le séjour de Jean-Noël Vuarnet à la Villa Médicis (1977-79) a inspiré son livre Extases féminines (1980) et, par conséquent Kiefer, pour dépeindre des femmes qui cavalent, jonglent, dégringolent et se tordent, semblant ramer et pivoter dans le ciel bleu d’un monde où la joie s’envole et s’écrie, suggérant que la petite mort équivaut à être dans les nuages ou en suspension au-dessus de la mer. Anselm Kiefer invente des rêves pour rattraper une mémoire, un souvenir, parfois une part d'amour, parfois une part d'indépendance. Il semble vouloir illustrer ce bref instant et, en nous offrant la fleur comme compagne atmosphérique, il situe ces représentations gymniques dans un jardin de délices.

Heureuse comme une palourde, Vénus repose dans une coquille nacrée, ses cuisses ouvertes imitant le bivalve ouvert, son vagin exposé rappelant L'Origine du monde (1866) de Courbet plutôt que la Naissance de Vénus (1485-86) de Botticelli. Une figure vole élégamment en flexion arrière yogique au-dessus d'un immense cratère évoquant le pays des rêves - sera-t-elle engloutie ou simplement reflétée à la surface ? Une autre exécute d’exotiques danses dans les airs. Oskar Kokoschka a peint La fiancée du vent (Die Windsbraut) en 1913-14 ; un autoportrait avec son amante Alma Mahler à ses côtés, les deux étant presque embaumés par les tourbillons de la mer. La version de Kiefer (2014) se situe solidement sur la terre ferme, un arbre solitaire encadré par un ciel glorieux. Sa fiancée aux cheveux blonds et aux lèvres rouges est également seule dans l'espace, la jointure du papier la séparant du ciel palpitant et de l’étendue des champs. Brünhilde (2017) apparaît deux fois ; une vue de côté et cul par-dessus tête en se balançant avec agilité sur un tronc de bois. De même, Danaë (Δανάη, tous deux de 2017) reçoit une pluie d'or, les deux figures semblent tendues en attendant l'impact des éclaboussures ; c'est de l'action.

Les trois Marmorklippen (2015) sur un sol chamoisé se concentrent sur la tête et les épaules. Ces œuvres font le lien entre les cheveux en bataille et la bouche ouverte ; le gémissement, le cri, cette plainte, tout est traversé par une ligne marbrée frémissante, suggérant cette électricité qui s'échappe du corps une fois l’acmé atteint. Semele (2013), immobile, est baignée de jaune et des taches dorées, consumée par les flammes de la foudre produite lorsqu'elle force son amant Zeus à révéler son identité - une manière céleste d’exprimer l'explosion dans sa tête lorsque son corps arrive à son paroxysme. De même, Daphne (2013) se tient debout, les pieds plantés au sol, tenant une branche qui traîne derrière elle. Il ne s'agit pas de l'interprétation magistrale du mythe grec par Le Bernin, lorsqu'elle échappe à Apollon, son corps de marbre se dissolvant dans une échappée transformatrice au sein d’un monde de bois de lauriers ; feuilles et branches envahissant son corps.

Cette Daphné est une femme rose post-sauna, détendue, placide, calme, mais avec sexe à l’ordre du jour et dans l'air. De délicats traits de crayon soulignent les formes ; ses jolis tétons sont arrondis. Une touffe de noir dispersé suggère un pubis, une fissure de cadmium remontant le long de sa jambe conduit notre regard. Ces brindilles flottent sans être délimitées par le crayon ; de la peinture pure et languissante, jouant la narration, invoquant un mythe, nous montrant l'histoire.

Les aquarelles de Kiefer se réjouissent de la matérialité de l'humanité, de la possibilité d'échapper au quotidien par l'épanouissement personnel : de turbulentes visions créées à l'aide d'un médium connu pour sa nature incontrôlable. C'est une célébration des « extases féminines » : les roses du bien.

Liz Rideal est artiste, écrivaine et professeure à la Slade School of Art, UCL. Elle expose actuellement dans le cadre de l'exposition "Women in Revolt" à la Tate Britain et a publié des ouvrages sur l'autoportrait et le portrait, ainsi qu'un best-seller : How to Read Paintings (Bloomsbury, 2014 ; Rizzoli, 2015).

[i] Anselm Kiefer cité dans B. Cavaliere, Anselm Kiefer : Works on Paper in The Metropolitan Museum of Art, The Metropolitan Museum of Art, New York, 1998, p.10

[ii] Auguste Rodin (1840-1917)

[iii] Berthe Morisot (1841-95)

[iv] Berthe Morisot, carnet connu sous le nom de Carnet vert A, vers 1885-86. Paris, Musée Marmottan Monet

[v] François Boucher (1703-70)


Sélection d'œuvres

Anselm Kiefer

Marmorklippen, 2015

Anselm Kiefer

Δανάη, 2017

Anselm Kiefer

Solaris, 2013

Anselm Kiefer

Pour Jean-Noël Vuarnet: Extases féminines, 2014

Anselm Kiefer

Die Windsbraut, 2014

Anselm Kiefer

Brünhilde, 2017


“Je pense que la chose la plus précieuse et la plus intéressante pour moi en tant qu'artiste est le processus de création. Mais le processus consiste vraiment à être surpris tout le temps, et c’est ce qui est agréable avec l’aquarelle : on a toujours la possibilité d’être surpris. C'est pourquoi je travaille, afin d'être surpris. C’est la seule chose qui me motive, sinon, pourquoi le faire ?”

Vues d'exposition

Biographie

Anselm Kiefer est né en 1945 à Donaueschingen, en Allemagne, il vit et travaille en France depuis 1993. Son travail a fait l’objet de nombreuses présentations, notamment dans le cadre d'expositions monographiques au LaM, Lille, France (2023-24) ; au Museum Voorlinden, Wassenaar, Pays-Bas (2023-24) ; au Palazzo Ducale, Venise, Italie (2022) ; au Grand Palais Éphémère, Paris (2021) ; au Musée Franz Marc, Kochel, Allemagne (2020) ; au Couvent de La Tourette, Lyon, France (2019) ; au Musée Astrup Fearnley, Oslo (2019) ; au Musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg, Russie (2017) ; à l’Albertina, Vienne (2016) ; au Centre Georges Pompidou, Paris (2015) ; à la Royal Academy of Arts, Londres (2014) ; au Tel Aviv Museum of Art, Tel Aviv, Israël (2011) ; au Rijksmuseum, Amsterdam (2011) ; au Louisiana Museum of Modern Art, Humlebaek, Danemark (2010) ; au Grand Palais, Paris (2007) ; au Guggenheim Museum Bilbao, Bilbao, Espagne (2007) ; au San Francisco Museum of Modern Art, Californie (2006) ; au Modern Art Museum of Fort Worth, Texas (2005) ; au Metropolitan Museum of Art, New York (1998) ; à la Neue Nationalgalerie, Berlin (1991) ; et au Museum of Modern Art, New York (1987).

En 2023, Anselm Kiefer a reçu le Prix Antonio-Feltrinelli pour les arts, ainsi que le prestigieux Prix pour la compréhension et la tolérance du Musée juif de Berlin et a également reçu, en 2017, la médaille J. Paul Getty. En 2007, Anselm Kiefer est devenu le premier artiste, cinquante ans après Georges Braque, à se voir confier l'installation d'une œuvre permanente au Musée du Louvre, à Paris. En 2009, il a créé l’opéra, Am Anfang, à l'occasion du 20e anniversaire de l'Opéra national de Paris. En novembre 2020, Anselm Kiefer a dévoilé une nouvelle série d'œuvres pour le Panthéon de Paris, dont une installation permanente composée de six vitrines, ainsi que deux peintures monumentales actuellement en prêt. Avec une partition du compositeur contemporain français Pascal Dusapin, elle forme un ensemble de nouvelles créations commandées par le président Emmanuel Macron. Il s’agit de la première fois depuis 1924 qu'une telle commande est réalisée pour le Panthéon.

En savoir plus

Portrait: Anselm Kiefer. Photo: Waltraud Forelli

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